JAIM22: IVA ŠINTIĆ - La Court des Maréchaux
L'avenir; La forêt de tubes // Partie 2
Inspirée par les processus industriels et guidée par les écrits philosophiques de Vilém Flusser , j’ai créé une série de dessins qui explore la relation entre l'homme et son outil dans un environnement de production. Afin de mener à bien ce projet, j’ai visité plusieurs usines pour faire mes recherches sur ce thème majeur dans l’industrie d’aujourd’hui. Grâce à cette immersion, j’ai pu capturer les moments d'interaction entre les deux acteurs de cette chorégraphie (à savoir l’ouvrier et la machine). À travers mes dessins, j'essaie de dépeindre ce que cela signifie pour le travailleur de passer d'un simple outil manuel à une installation complexe, où le mouvement est dirigé par la conception de l'outil et le savoir s’inscrit dans la mémoire de ses muscles. Les images présentées sont le résultat de mes visites dans les usines.
Les dessins, gravés au laser sur un support en verre sur lequel est projetée de la lumière, donnent vie à cette chorégraphie 4.0
« Il apparaît de plus en plus que la relation entre l'homme et le robot est réversible et qu'ils ne peuvent fonctionner qu'ensemble : l'homme en effet en fonction du robot, et du même coup le robot en fonction de l'homme''
V.Flusser, The shape of things, Reakton books 1999, p.48
En commençant ce projet, je m'imaginais trouver des extrêmes : des salles blanches stériles contrôlées uniquement par des robots ou des chaînes de montage où la division du travail est répartie en tâches minuscules qui ne se rejoignent qu'au point final, dont le travailleur n'est pas forcément conscient de ce qu'est le produit final. Cependant, dans les espaces que j'ai visités, l'histoire a encore un pied dans les processus, et la main humaine qui exécute chaque tâche est bien informée de la finalité de sa production.
Aujourd'hui, nous nous concentrons principalement sur la numérisation des processus, de l'internet des objets, des machines qui remplacent l'homme dans les tâches manuelles, cependant nous pouvons affirmer avec certitude que même l'outil contemporain le plus intelligent n'est pas encore capable d'inventer le nouvel outil, la nouvelle machine, ou de l'assembler sans qu'elle soit assemblée au préalable par un être humain. Par conséquent, même dans les usines du futur où tout peut être fabriqué en appuyant sur un bouton, il y a un humain au début et au milieu - qui construit cet outil et qui l'entretient.
C’est à Alsachimie, sans hésiter, que j’ai trouvé la machinerie la plus gigantesque: la construction massive de la raffinerie. Un village de tuyaux et de tubes, combiné à la construction métallique qui les maintient, et les petits espaces divisés par des rails de sécurité. Là, je regarde le futur et le passé assis l'un à côté de l'autre. Les installations massives - un outil de raffinage des produits chimiques - sont reliées aux systèmes numériques qui permettent de les manipuler. Il ne reste plus que quelques vannes à manipuler à la main, et l'humain a pour fonction de diriger le logiciel ou d’effectuer des contrôles.
Dans l'atelier de métallurgie, le temps s'est arrêté quelques instants. Mêlées aux outils modernes, les anciennes machines dont le design et la fonction semblent intemporels sont toujours en usage. C'est là que j’ai été impressionnée : les différents composants qui doivent être réparés ou remplacés sont fabriqués pièce par pièce au lieu d'une production massive. Ici, ils passent directement entre les mains des ouvriers et en seulement une heure, tout dommage peut être réparé.
« Il devient de plus en plus évident que la relation entre l'homme et le robot est réversible et qu'ils ne peuvent fonctionner qu'ensemble : l'homme en effet en fonction du robot, et du même coup le robot en fonction de l'homme… '' (Flusser, 48)
Pour réaliser les dessins, j'utilise les photographies que j'ai réalisées lors de ma visite. Ils montrent l'inspection du village des tubes et les moments passés à l'atelier. Je superpose les images, dessine, enlève, et rajoute : le casque de soudeur se soulève et se pose - et on sait où commence et où finit la diode de soudage. Même derrière son écran complètement noir, le corps comprend cet ajout à la longueur des bras et les interprète avec lui comme si c'était le sien.